Mehdi FARAJPOUR
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Conceptual Performance Artist
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Si le silence fait corps (Entretien avec Mehdi FARAJPOUR)

24 February 2014 // AUTHOR: // CATEGORY: Theories // Comments Off on Si le silence fait corps (Entretien avec Mehdi FARAJPOUR)

Entretien avec Mehdi FARAJPOUR par ALAIN-PIERRE PEYRAUD

Magazin AREA N°28 (2013)

Après des débuts sur scène en tant que comédien, Mehdi Farajpour est aujourd’hui considéré comme un artiste conceptuel qui partage son temps entre la création d’oeuvres chorégraphiques et l’enseignement de sa méthode, la danse méditative. Il est directeur artistique de la compagnie Orianthéâtre. Etudiant en théâtre à Téhéran, j’ai découvert la danse à travers une photo de Martha Graham. Je fus très impressionné par cette image des arts vivants que je ne connaissais. En Iran, l’éducation théâtrale est construite sur le texte. Je peux dire que si je n’avais pas vu cette photo, je serais aujourd’hui acteur, pas danseur.

– Qui avait-il dans cette photo qui vous parlait d’autre chose que de théâtre ?

Cela ne ressemblait pas aux autres images du théâtre, j’y décelais quelque chose de plus fort que ce que peut porter un texte. C’était la représentation d’une chorégraphie sur la mythologie grecque, c’était très puissant. Peu de temps après, j’ai arrêté le théâtre “verbal” pour aller vers des spectacles plus gestuels.

S’il y a une grande tradition de danse folklorique dans la culture persane, la danse contemporaine n’existe pas comme forme artistique en tant que telle, elle est même interdite car il existe des tabous politiques et religieux sur toutes les formes d’expression du corps…

– Comment cependant avez-vous découvert la danse au-delà de cette seule photo ?

Il y a quinze ans, les chaînes satellites et internet parvenaient en Iran, il n’était donc pas très difficile d’accéder à des enregistrements de spectacles sur des médias internationaux. Un professeur suisse d’origine iranienne avait très officieusement ouvert une école de danse, et c’est elle qui m’ incita à en faire de même plus tard. Pour me former j’ai voyagé dans plusieurs pays, rencontré des danseurs, suivi des stages de danse en Europe, en Inde, en Asie. Les pays dans lesquels j’ai voyagé avant mon départ d’Iran sont ceux où je travaille aujourd’hui, la Finlande, la Pologne ou la Croatie, où la danse expérimentale est bien développée.

– Avant de quitter l’Iran vous bravez les interdits… ?

Lorsque j’ai annoncé l’ouverture de mon école à mes proches, j’ai reçu quarante-cinq candidatures en un mois. Les interdits de mon pays sur la danse participaient de la motivations des chorégraphes étrangers que j’invitai…

Un jour je suis arrivé devant mon local. Les portes étaient closes. Devant, il y avait un gardien qui m’a dit que l’école était fermée. Je n’ai pu entrer, ni récupérer mon matériel.

Les ordres de fermeture avaient été donnés par des structures travaillant sous les ordres du ministère de la Culture, dans le même temps, d’autres danseurs ou chorégraphes ont été interpellés, harcelés, et quelques-un condamnés. La plupart quittèrent le pays, comme je décidai de le faire. C’était le choix de suivre ma passion. Si je souhaitais faire de la danse mon métier, je ne pouvais pas rester en Iran.

– Pour clore vos études de théâtre, vous avez écrit une thèse, Contez-nous vos mésaventures.

C’était une thèse sur la danse et sur le corps. Lorsque j’ai eu fini la rédaction, j’ai été autorisé à la publier qu’à la condition que je retire le mot “danse”. Après en avoir parlé avec des amis, nous avons réécrit la thèse en remplaçant le mot “danse” par celui de “mouvement”. Le sens restait le même et la publication fut autorisée. C’est absurde ! Cela aura duré trois ans pour que la thèse soit acceptée par l’université et publiée.

– Comment s’élaborent vos chorégraphies ? Par quel chemin, quel processus passez-vous pour y arriver ?

La poésie en Iran est quelque chose de très important, y compris dans la vie quotidienne, dans les conversations courantes on cite des poèmes. La poésie est vécue comme ce qui peut montrer un chemin de l’existence. Si je ne suis pas certain qu’il y ait un message dans mes spectacles, ils ont toujours un lien avec la poésie persane où se trouvent mes racines. J’essaie de trouver des images ou des gestes en rapport avec les poèmes de Rûmi, poète du XIIIème siècle, maître religieux et père spirituel des derviches tourneurs. Je tente de traduire ses mots et ses atmosphères par des gestes. C’est une traduction ouverte.

L’inspiration peut venir d’autre chose, d’une pièce de musique, d’une photo, de quelque chose qui se passe dans la rue, d’ une rencontre. Mais le lien à la poésie reste. Il m’arrive d’écrire des textes. Alors, au fur et à mesure que les mots sont posés, je vois apparaître la danse. Ensuite, c’est le travail sur le corps, puis arrivent les accessoires. Ici est un spectacle qui interroge l’Homme et son rapport à lui-même, l’un qui voyage et l’autre immobile. C’est sans doute une métaphore de mon parcours. Le voyageur porte une petite maison sur le dos. J’ai utilisé cette image car je pense que les pays n’existent que dans notre mémoire, donc nous voyageons avec.

– Vous dites qu’il n’y a pas toujours de message mais il existe pourtant des revendications dans certaines de vos chorégraphies ?

Il y a toujours quelque chose à dire, mais ce n’est pas forcément un message, parfois c’est une révolte, ou simplement une impression, un sentiment, le désir de faire partager une idée.

– Vous abordez ce que vous avez vécu, en protestant contre l’emprisonnement du corps. C’est aussi comme cela que vous faites le lien avec d’autres cultures où les choses s’expriment de la même façon. Vous découvrez a posteriori que deux de vos chorégraphies ressemblent aux spectacles de butô. Comment ?

C’est la situation dans laquelle on vit qui définit l’art que l’on fait. Ce sont les atmosphères qui définissent les formes chorégraphiques. J’ai grandi jusqu’à l’âge de huit ans à Téhéran, mon pays était en guerre avec l’Irak, avec ses bruits incessants de sirènes, de bombes et de cris… Pour moi, cela était était normal, et ce n’est que lorsque les combats se sont arrêtés que j’ai trouvé cela étrange.

J’ai mis du temps à découvrir ce qui me paraissait étrange. C’était le silence. Le silence était plus étrange que la guerre. Depuis j’ai toujours cherché la valeur du silence, c’est sans doute pour cela que je parle très bas. Une amie danseuse hollandaise m’a même prédit : ”Un jour tu vas arrêter de parler” … J’ai créé deux chorégraphies et c’est après que je me suis aperçu qu’elles étaient très proches du butô. Je crois que cet art japonais exprime les mêmes choses que j’ai pu ressentir et que j’ai exprimées de la même façon. Le butô exprime une forme de contestation contre la société traditionnelle et les contraintes qu’elle impose, contre la guerre aussi. Les danseurs l’expriment par des mouvements très particuliers, la forte présence du silence. Mes chorégraphies ne sont pas que des manifestations contre le système, et la tradition où la danse n’est pas une forme très respectée. Il n’est pas bienvenu d’être danseur. On n’est pas fier de se dire danseur, ou que son enfant l’est. Si j’aborde cette question, j’attends une réaction un peu violente.

– Vous voyagez aujourd’hui pour vos création, mais aussi pour faire connaitre vos méthodes de travail. Que pouvez-vous nous en dire ?

Ma méthode est appelée “empty body” . Elle parle des façons d’aborder la chorégraphie. Il y a les mouvements actifs et les mouvements passifs. Il y a des temps durant lesquels les danseurs vont danser, d’autres où ils ne bougent pas. Dans ces deux temps, il y a quand même une force, une énergie. Au départ, le danseur doit avoir un corps naturel, un corps vide, ainsi il pourra tout incarner. C’est comme le silence qui peut apparaître comme vide. Mais il y a du silence qui bouge, des silences lourds, d’autres très apaisants. Il en est de même pour l’immobilité. Dans l’oeuvre de Beckett, il est très difficile de déplacer un seul mot, comme il est difficile de changer un pas dans le butô. C’est ce que j’éprouve avec la poésie que je mets en pas de danse, on pourrait presque penser que jouer Beckett est une façon de danser !



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